(Extrait Almanach du Petit Journal des Toques Blanches Lyonnaises n°2 – Janvier 2017)
Parmi les légumes oubliés, le cardon, bénéficie d’un statut particulier parce qu’il était célébré, autrefois, comme «l’un des mets les plus distingués que l’opulence puisse offrir à la sensualité».
Venant de Grimod de La Reynière (1758 -1837) pour exalter la complicité entre la truffe et le cardon, le compliment avait du poids. Il poursuivait :
C’est, en fait d’entremets potagers, le nec plus ultra de la science humaine ; et un cuisinier en état de faire un plat de cardes exquis, peut s’intituler le premier artiste de l’Europe». Excusez du peu !
Comment expliquer alors qu’un siècle plus tard Gaston Derys (1875 – 1945), gastronome ami de Curnonsky, puisse écrire «la carde que certains innovateurs prétendent pouvoir manger (…) ne peut être mâchée par d’autres que par des ruminants».
On songe à l’humour noir d’un Alphonse Karr (1808 – 1890) : «ce serait très mauvais, si l’on pouvait en manger».
Gaston Derys note toutefois, que pour les fêtes carillonnées, à Noël et à Pâques,« le cardon emprunte une onction, une tendresse et, si l’on osait risquer ce mot, une allégresse singulière (Dictionnaire de Gastronomie Joviale – 1930).» La méfiance à l’égard du cardon n’a pas été générale. La production de cardons s’est développée en Espagne (Cordoue), en Italie, en Grèce et en Afrique du Nord, dès l’époque de Carthage.
En France, sa culture est surtout pratiquée dans la région lyonnaise, en Provence et en Savoie. A Lyon, le cardon à la moelle est un plat classique des bouchons.
En Suisse, le cardon a été amené du Midi de la France par les Huguenots au 16ème siècle, cultivé d’abord à Plainpalais, puis entre l’Arve et le Rhône, et dans le quartier de la Jonction (Genève) par les nouveaux émigrés après le Révocation de l’Edit de Nantes (1685).
Aujourd’hui, le Canton de Genève, seul, bénéficie d’une A.O.C. (délivrée le 7 octobre 2003) pour le cardon épineux argenté (variété de Plainpalais) aux côtes larges et charnues, aux feuilles brillantes en surface, mates et argentées au revers. Les 7 hectares cultivés à Genève
par une dizaine de maraîchers, produisent annuellement un peu plus d’une centaine de tonnes.
Le semis se fait au mois de mai et la maturité (jusqu’à 1.50 m. de hauteur) intervient en octobre, période à laquelle on procède au blanchiment pour rendre le cardon tendre et savoureux, soit à même le champ dans un sac qui protège la plante de la lumière, soit dans un abri aveugle où le cardon est maintenu, avec sa motte à une température d’environ 12° jusqu’à Noël. Selon le cahier des charges de l’Office
fédéral de l’agriculture, le cardon genevois AOC est caractérisé par ses côtes fines, nombreuses et bien pleines, son feuillage argenté, ses nombreux piquants.
Son goût se définit par une saveur intense de légume-côte, proche du coeur d’artichaut avec des notes de noix légèrement beurrées.
Il doit rester ferme, bien blanc, croquant et légèrement filandreux après cuisson. C’est une caractéristique majeure de sa typicité.
Une plante infidèle
Il est admis que le cardon et l’artichaut, après quelques polémiques entre botanistes, ont pour ancêtre commun une plante épineuse indigène du pourtour méditerranéen, le cardon sauvage. Les différences entre ces deux plantes ne sont que le résultat de modifications subies au fil du temps ou résultant, si l’on peut dire, d’une sexualité débridée, le cardon étant une plante allogame, c’est à dire vagabonde. En effet, le pollen d’un cardon ne peut féconder aucune des fleurs de la même plante ; polygame, il est donc contraint d’aller voir ailleurs !
Cette pollinisation croisée engendre une diversité importante des types de cardon, une quinzaine, selon les maraîchers.
D’ou vient le cardon ?
Le philosophe Théophraste (371-288 de notre ère) certifie son origine sicilienne et rapporte l’usage alimentaire de ses feuilles confites dans l’eau salée. Athénée assure que c’était à Rome un légume recherché, réservé aux tables patriciennes ; une légende lui attribuait même
des vertus « réchauffantes pour les personnes du sexe».
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