Un peu d'histoire !

Les cuisiniers italiens de Catherine de Médicis, une imposture !

Le 28 octobre 1533, Catherine de Médicis, née en 1519, épouse à l’âge de 14 ans, le futur Henri II à Marseille, en présence de son cousin le Pape Clément VII, et de François 1er. Mariage diplomatique et financier, car il s’agit de contrebalancer l’influence de Charles Quint auprès du Saint Siège et de renflouer la couronne avec une dot de 100.000 écus et 28.000 écus de bijoux. François 1er assiste à la cérémonie, et aussi à la « consommation du mariage», car le jeune époux a le même âge que sa femme. Il s’agit aussi de faire obstacle à toute répudiation. Une légende tenace veut que Catherine de Médicis soit venue d’Italie accompagnée d’une quarantaine de cuisiniers qui auraient influencé durablement la cuisine française. Première invraisemblance, Catherine ne devait pas devenir reine, ni son mari accéder au trône. Elle ne sera couronnée à ses côtés en 1547, quatorze années plus tard, qu’en raison du décès en 1536 du dauphin François, fils aîné de François 1er.

Et cependant le XVIIIème siècle a affirmé que Catherine de Médicis, selon Pierre Leclerq, historien belge (Université de Liège) avait joué un rôle primordial dans l’histoire légendaire de la gastronomie. On dit même, qu’elle aurait amené de Florence le goût pour les légumes et pour les sauces. Ses cuisiniers auraient enrichi la cuisine française de brocolis, d’artichauts, de haricots, de quenelles de volaille, de crêtes de coq, de crépines de foie de veau ou de cervelles. Sans parler de la pâtisserie qui devrait tout aux artisans florentins, maîtres dans l’art de confectionner des confitures, des gelées, des massepains, des pains d’épices, du nougat, des marrons glacés, des macarons ou de la frangipane, recette confiée à Catherine par le comte Cesare Frangipani. Cerise sur le gâteau, elle serait également l’importatrice des fameuses glaces italiennes, ramenées de Chine deux siècles plus tôt par Marco Polo. « D’un mythe à l’autre, la boucle est bouclée », résume Pierre Leclercq. Or, tout cela est faux, archi-faux, colporté sans la moindre preuve depuis le XVIIIème siècle par des commentateurs, polygraphes ou folliculaires sans scrupules.

Deux historiens réputés, Florent Quellier et Pascal Brioist, professeurs à l’Université François Rabelais de Tours, viennent de publier « La Table de la Renaissance – le Mythe italien » (Tables des Hommes.2018), qui déconstruit le récit des origines italiennes de la cuisine française, inventé au XVIIIème siècle, enrichi au siècle suivant de personnages savoureux mais tout autant imaginaires, tels les Pastilla, Frangipani et autres Popelini, et revient sur ce que les sources de la Renaissance nous disent des relations entre la France et l’Italie du point de vue du boire et du manger.

Déjà, Florent Quellier, co-commissaire de l’exposition Festins de la Renaissance (Blois. 2012) avait tordu le cou à cette légende : « Il n’existe aucune trace de cuisiniers ou pâtissiers italiens chez les Valois, Non plus que dans la famille de Guise. » L’origine de cette fable réside dans un passage des Essais de Montaigne, qui avouait pourtant ne pas faire la différence entre un chou et une laitue, mais s’était laissé séduire par les propos du maître d’hôtel du cardinal Carafa lors de son arrivée à Rome en 1580 : « Il m’a fait un discours de cette science de gueule avec une gravité et contenance magistrales, comme s’il m’eût parlé de quelque grand point de théologie. »

L’obsession italienne

Repris par François Marin dans la préface des Dons de Comus (1739), amplifié par un article de l’Encyclopédie dû à Louis de Jaucourt, aucun n’a vu la dérision dans le propos de Montaigne qui, d’ailleurs, préférait la cuisine allemande ! Pour Florent Quellier, « cette obsession italienne nous a fait tourner le dos à l’influence probable de la cour de Bourgogne. »

Paradoxalement, cette mise en scène de Catherine de Médicis se développe deux siècles après sa mort, dans un contexte très peu élogieux pour elle : reine étrangère, machiavélique, critiquée par tous, catholiques et protestants. On ne garde d’elle que l’image d’une reine empoisonneuse et cruelle, responsable du massacre de la Saint- Barthélemy. Parmi les griefs dont on l’incrimine, l’italianisation de la cour n’est pas le moindre. Ainsi, la prétendue arrivée de cuisiniers italiens à sa suite n’est probablement pas un argument plaidant en faveur de sa mémoire. Car à l’époque de l’Encyclopédie (1751-1772), un débat fait rage parmi les lettrés français. Les uns, partisans de la bonne chère et les autres, adeptes de la frugalité, se déchirent au sujet de la gourmandise. Les moralistes s’appuient surtout sur les sources antiques et font un amalgame entre gourmandise et débauche.

L’article « cuisine » de l’Encyclopédie synthétise parfaitement cette querelle. Son auteur, le protestant intégriste Louis de Jaucourt (1704-1779), condamne fermement les délicatesses de la table, véritables poisons pour l’homme, et accable la reine d’origine italienne. C’est assurément le point de départ de cette légende. Alors, le cortège de cuisiniers italiens accompagnant la future reine de France ne serait qu’une forgerie – on dirait aujourd’hui une Fake News – une tromperie ? Quelles sont les raisons qui ont permis à une telle légende de prospérer depuis trois siècles ?

L’histoire est familière de telles supercheries. Ainsi le mythe du Bon Roy Henri (Henri IV) est-il toujours prospère : «je ferai qu’il n’y aura pas de laboureur en mon royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot. » Prudent, il ajouta : « Si Dieu me donne encore la vie… » Avant d’être assassiné par Ravaillac, Henri IV avait échappé à une douzaine d’attentats commandités successivement par les jésuites, l’Espagne, les protestants ligueurs et plusieurs maris de ses 73 maîtresses recensées. Vert-Galant, le bien nommé, a d’ailleurs reconnu 22 bâtards ! Quant aux paysans, épuisés par quarante années de guerres de religion – le roi n’ayant obtenu son trône qu’après avoir renoncé, par deux fois, au protestantisme – rançonnés par les armées et les pillards qui sillonnaient le pays, n’avaient certainement pas de poule à mettre au pot chaque dimanche ! C’est Louis XVIII, cherchant à restaurer l’image de la monarchie après la chute de Napoléon, qui fit de la poule au pot un emblème national assurant au Bon Roy Henri sa popularité posthume. Communication politique oblige, il fit aussi rétablir en 1818, la statue équestre de Henri IV sur le Pont Neuf, en faisant fondre celle de Napoléon érigée sur la colonne Vendome !

Dans l’affaire Catherine de Médicis, Florent Quellier se fait procureur, rappelant que l’histoire de l’alimentation, longtemps abandonnée aux gastronomes, fut boudée par les historiens universitaires, préoccupés d’histoire politique, diplomatique, militaire et évènementielle. « Ainsi l’histoire de l’alimentation s’est elle retrouvée cantonnée au seul registre du pittoresque et de l’anecdotique », écrit-il. La cause, désormais, est entendue : la présence de cuisiniers italiens dans les bagages de la Régente Noire est une imposture.